Elle est partout… sans y être réellement! Elle est intangible et pourtant, elle se révèle subtilement dans la décoration du siège social, dans le code vestimentaire de l’entreprise (ou son absence), par exemple…
La culture organisationnelle, car c’est ce dont il est question ici, a récemment fait l’actualité. Plus particulièrement celle de l’entreprise de covoiturage californienne Uber, dont le nouveau PDG Dara Khosrowshahi veut faire table rase, compte tenu des sérieux dérapages constatés en son sein (lire à ce sujet l’article de Mike Isaac intitulé « Inside Uber’s Aggressive, Unrestrained Workplace Culture », publié dans le New York Times). Dans un message aux mots très durs publié récemment sur le compte LinkedIn de l’entreprise, le nouveau dirigeant a appelé ses troupes à procéder à un changement radical et rapide de la culture qui prévalait à ce jour dans les murs de l’organisation. Reste à savoir si le navire pourra changer de cap, car en matière de culture organisationnelle, les choses sont toujours très lentes…
Une culture… d’organisation?
Tous les groupes sociaux possèdent une culture. Le Québec possède sa propre culture, qui traduit les manières d’être et de vivre des quelque huit millions d’habitants de la Belle Province. La langue française, la chanson d’ici, la cuisine (longue vie à la poutine!), le hockey, les valeurs, l’adaptation à l’hiver, les traditions du temps des Fêtes : voilà quelques éléments constitutifs de la culture québécoise, et il en existe bien d’autres! Les organisations et les entreprises ne sont guère différentes.
Edgar Schein, professeur émérite à la prestigieuse MIT Sloan School of Management, a véritablement campé le concept de culture d’organisation dans son livre Organizational Culture and Leadership, publié pour la première fois en 1985. La définition qu’il en donne (voir l’encadré) expose clairement la fonction de toute culture d’organisation. Elle sert, d’une part, à situer l’entité dans le vaste monde des organisations (« Voici qui nous sommes, et voici comment nous nous distinguons des autres ») et, d’autre part, à intégrer les nouveaux arrivants au collectif (« Voici quelles sont les valeurs primées dans l’organisation, les défauts qui sont méprisés, les actions qui sont attendues, etc. »).
Les trois niveaux de la culture organisationnelle
Toute culture d’organisation, affirme Edgar Schein, est composée de trois éléments, allant du plus abstrait au plus concret. Le cœur de la culture d’organisation est constitué de prémisses, entendues comme des postulats moraux et philosophiques souvent ancrés dans l’inconscient du fondateur ou des dirigeants. Ces prémisses sont par la suite opérationnalisées dans un ensemble de valeurs, qui sont souvent présentées dans l’intention stratégique de l’organisation. En dernier lieu, ces valeurs devraient normalement se traduire par la présence d’artefacts, ces manifestations tangibles et concrètes des valeurs mises de l’avant entre les quatre murs de l’organisation. Quels peuvent être ces artefacts? Ils sont nombreux, et de toute nature. Pensez seulement au logo de l’entreprise[1], aux différents rites et aux routines qui ponctuent la vie de l’organisation, à l’organisation de l’espace, aux titres qui sont octroyés, à la perception que l’on a du temps.

Un exemple? Prenons Walmart, le plus important employeur privé du globe. Les valeurs de l’entreprise mettent entre autres de l’avant l’importance du service à la clientèle. À cet égard, et afin de parvenir à un service à la clientèle de qualité, il va de soi que l’esprit d’équipe compte pour beaucoup. Rien de mieux, donc, pour cimenter l’esprit d’équipe qu’un rituel collectif, le Walmart Cheer, auquel tous les employés se plient de bonne grâce à chaque matin. Comme la chose est difficile à décrire et qu’une image vaut mille mots, voyez par vous-même…
Voilà un exemple fort éloquent d’artefact! Rien à dire de plus! 😊
Pour en revenir à Uber…
Dara Khosrowshahi, le grand manitou d’Uber, veut voir les choses bouger rapidement dans l’entreprise dont il vient de prendre les rênes. Compte tenu de la très mauvaise presse obtenue antérieurement, on ne peut certainement pas le blâmer! Mais une culture organisationnelle ne se change pas comme on change de chemise. Puisqu’il est ici question de morale, de philosophie et de valeurs, on comprend aisément que les changements demandés par le dirigeant ne seront pas réalisés de sitôt. Faire table rase de la culture existante et la remplacer par une autre peut demander de cinq à dix années, le roulement du personnel étant souvent le meilleur instrument afin d’instaurer une nouvelle culture.
Dans ce cas-ci, et pour bien des cas de changements de culture organisationnelle, « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » … C’est Jean de la Fontaine qui le dit!
[1] Le logo est un bon indice de la teneur de la culture d’une organisation. Relisez à ce sujet les deux articles que j’avais écrits lors de mon passage à la revue Gestion : « Ce que révèle la couleur de votre logo » et « Des logos tous égaux? ».
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