Reprenons un fait établi depuis longtemps, et que j’ai eu l’occasion de réitérer à maintes reprises[1] : en stratégie d’entreprise, l’information, c’est le nerf de la guerre! Sans information, impossible de prendre la mesure du terrain ou de l’air du temps, impossible de planifier, impossible d’échafauder des scénarios sur la riposte des concurrents… Si, donc, l’information s’avère incontournable en matière de stratégie, et j’ai bon espoir d’avoir fait consensus à ce chapitre, les manières d’obtenir cette information, quant à elles, sont loin de faire l’unanimité! Certes, il existe des canaux traditionnels qui peuvent aider à obtenir une bonne partie de l’information nécessaire à l’établissement et à l’exécution de la stratégie. Les médias analogiques (presse écrite, revues profanes et spécialisées, livres) et numériques (Internet, médias sociaux), tout comme les entreprises spécialisées dans la veille informationnelle, sont de ceux-là. Mais, comme l’indique Sun Tzu dans l’extrait présenté ci-contre, les relations que nous entretenons avec les femmes et les hommes qui peuplent nos univers professionnels et personnels sont des sources vitales d’information. Se passer de telles sources, ou les négliger, c’est se priver de précieuses flèches à placer dans son carquois…
La preuve par a + b
À cet égard, ce ne sont pas les études scientifiques qui manquent et qui viennent, pour l’essentiel, conclure à l’existence d’un lien positif entre le réseautage et la performance d’une entreprise ou d’une organisation. Mentionnons, à travers la pléthore de publications scientifiques à ce sujet, la méta-analyse[2] menée par Wouter Stam, Souren Arzlanian et Tom Elfring qui, en révisant les données de 61 études antérieures, ont montré qu’il existait une corrélation positive entre le capital social[3] déployé par un entrepreneur et la performance de son entreprise (des petites et des moyennes entreprises, dans le cadre de l’étude ci-haut mentionnée). Les professeurs Stam, Arzlanian et Elfring soulignent que la diversité du réseau (la provenance et la position sociale des membres de ce réseau) d’un entrepreneur, l’absence de vides (structural holes) entre les nœuds de son réseau et la présence de liens dits faibles avec les membres d’un réseau pouvait contribuer à accroître la performance d’une entreprise.
Vous avez dit « liens faibles »?
Je vous vois sourciller d’ici… Des liens faibles? Cette notion de lien faible et de son opposé, le lien fort, est l’œuvre du sociologue américain Mark Granovetter qui, dans un article[4] publié en 1973, établissait la nature de ces deux types de relations. Pour Granovetter, les liens forts sont ceux établis, d’un le cadre d’un réseau donné, avec des gens qui nous sont proches, tant sur le plan familial que sur le plan professionnel, pour ne nommer que ces deux aspects. À l’inverse, les liens faibles sont essentiellement caractérisés par des relations établies avec des personnes avec qui l’on maintient des contacts sporadiques, qui proviennent d’un autre milieu culturel, académique, professionnel ou autre. Le sociologue américain avance, et c’est là toute la subtilité du titre de son article novateur (« The Strength of Weak Ties »), que c’est par la culture des liens faibles que les possibilités d’obtenir les ressources manquantes, de l’information privilégiée par exemple, sont les plus grandes. Les membres d’un réseau constitué de liens faibles ont probablement beaucoup plus à vous apprendre, et ce à bien des sujets, que les gens qui vous ressemblent, qui pensent comme vous, qui ont les mêmes intérêts ou qui travaillent dans la même branche que vous! C’est logique!
Bref, comme invite à le faire Sun Tzu, cultivez vos réseaux, et de préférence ceux constitués de liens faibles! Vous avez tout à y gagner!
[1] Relire à ce sujet le troisième article de la série « Sun Tzu a dit… ».
[2] Stam, W., Arzlanian, S., & Elfring, T. (2014). Social capital of entrepreneurs and small firm performance: A meta-analysis of contextual and methodological moderators. Journal of Business Venturing, 29(1), 152-173.
[3] Mise de l’avant entre autres par le politologue américain Robert Putnam, la notion de capital social peut être grossièrement comparée à celle de capital économique ou financier, dans la mesure où il s’agit « […] d’un investissement dans les relations sociales avec l’espérance d’un rendement. » Notre traduction, tirée de Lin, N. (1999). Building a network theory of social capital. Connections, 22(1), 30.
[4] Granovetter, M. S. (1973). The Strength of Weak Ties. American Journal of Sociology, 78(6), 1360-1380. Cliquez ici pour une version en français.
Excellent
Merci à vous! :0)
Tellement juste